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Notre ancienne étudiante Fanny Demars reçoit le prix de thèse d’université de l’Académie Vétérinaire de France 2022

Étudiante vétérinaire à VetAgro Sup de 2012 à 2017, Fanny a poursuivi ses études par une thèse sur la physiopathologie de la réponse au stress et de la schizophrénie au sein de l’équipe Inserm du Pr Marie-Odile Krebs à l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris [1,2]. Pour ce travail, l’Académie Vétérinaire de France lui a cette année remis son prix de thèse d’université 2022. Ses travaux de recherche, réalisés chez l’homme et l’animal, montrent la pertinence du concept One Health dans la recherche translationnelle en psychiatrie. Découvrez son parcours et ses recherches plus en détails.

D’où venez-vous ? Pourriez-vous nous expliciter un peu votre parcours ?

J’ai un parcours un peu particulier car je suis entrée à l’école vétérinaire de Lyon / VetAgro Sup avec l’objectif de faire une carrière dans la recherche. Ce choix est sans aucun doute lié à ma relation avec mon grand-père, Jack Bost, qui avait été enseignant-chercheur en physiologie à l’école et qui m’a transmis sa passion pour la médecine vétérinaire mais aussi pour la recherche biomédicale.

En parallèle de mes études à VetAgro Sup, j’ai réalisé plusieurs stages en laboratoire, notamment au Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon CRNL et à l’étranger : avec D. Amaral à UC Davis grâce au Merial (Boehringer Ingelheim) Veterinary Scholars Program, puis avec J. Trotter (laboratoire de T. Südhof, prix Nobel 2013) et P. Buckmaster grâce à deux bourses de l’université de Stanford.

En dernière année à VetAgro Sup, j’ai profité du cursus « recherche » pour réaliser un master 2 en sciences cognitives à l’ENS à Paris. J’ai alors travaillé avec Marco Pompili, sous la supervision de Thérèse Jay [3] (travaux réutilisés dans ma thèse d’exercice dirigée par Catherine Escriou).

Je me suis ensuite inscrite en thèse d’université avec Marie-Odile Krebs, psychiatre, chef de service au centre hospitalier Sainte-Anne du GHU Psychiatrie et Neurosciences Paris et chef d’équipe d’un laboratoire Inserm grâce au soutien de la Fondation pour la Recherche Médicale [1].

L’étude de la schizophrénie est au centre de vos travaux de recherche, c’est un sujet étonnant pour un vétérinaire. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce sujet ?

J’ai d’abord été attirée par les neurosciences en raison d’une certaine fascination théorique voire philosophique pour le fonctionnement du cerveau, de l’Homme et des animaux. Progressivement, je me suis orientée vers l’étude des maladies psychiatriques chez l’homme qui sont un enjeu majeur de santé publique. En effet, ces pathologies sont fréquentes et touchent très souvent des jeunes avec des conséquences qui peuvent parfois être importantes à court et long terme (Figure 1).

Figure 1 : Les maladies psychiatriques sont un enjeu majeur de santé publique. Elles sont fréquentes et touchent les jeunes (gauche, Institut de Psychiatrie). Les troubles mentaux et du comportement représentent 22,7% des Années vécues avec un handicap en 2010 (droite, adapté de Becker & Kleinman, N Engl J Med 2013 à partir des données de Vos et al., Lancet 2012)

Pourriez-vous résumer vos travaux ?

La schizophrénie est une maladie fréquente (~1% de la population), associée à un large spectre de symptômes qui apparaissent généralement autour de l’adolescence (pensées désordonnées, hallucinations, altération des interactions sociales, émoussement affectif, troubles de la mémoire, du raisonnement, de l’attention…). Elle résulte d’une combinaison complexe de facteurs génétiques et environnementaux tels que le cannabis ou le stress par exemple. Parmi les jeunes dits « à risque » en raison de symptômes atténués, environ un tiers développeront une psychose alors que d’autres présenteront une stabilisation ou une régression des symptômes (figure 2). 

En savoir plus sur ce sujet : https://institutdepsychiatrie.org/reseau-transition/pour-le-public/ 

https://institutdepsychiatrie.org/reseau-transition/intervention-precoce/ 

Figure 2 : Evolutions possibles des symptômes psychotiques chez les jeunes souffrant de symptômes atténués. Environ 30% des patients évoluent vers un trouble psychotique avéré (Institut de Psychiatrie, adapté de Kahn R., et al. Nat Rev Dis Primers 2015)

Dans ma thèse, j’ai étudié les mécanismes biologiques associés aux différences de vulnérabilité des individus face au stress et au développement de la schizophrénie en utilisant une approche translationnelle, chez l’homme et sur des modèles animaux.

S’ils sont confirmés, nos résultats pourraient constituer un pas vers l’identification de biomarqueurs pronostiques et de nouvelles cibles médicamenteuses, nécessaires pour le développement d’une prise en charge précoce, personnalisée et surtout plus efficace des patients. Mais il reste beaucoup de travail à effectuer.

Sur quoi ont porté vos travaux exactement ?

Nous avons tout d’abord identifié une dérégulation de l’expression périphérique des gènes YWHA associée à la conversion psychotique en comparant leur expression dans le sang de patients à ultra-haut risque qui ont, ou non, évolué vers un premier épisode psychotique lors du suivi [4].

Nous avons ensuite étudié la pénétrance incomplète de l’apparition de la psychose parmi les individus porteurs d’une délétion chromosomique 22q11.2DS. Cette délétion est un facteur de risque génétique important pour la schizophrénie et pour laquelle il existe un modèle murin [2].

Enfin, convaincus de la nécessité d’améliorer les modèles animaux pour une meilleure application des résultats obtenus en laboratoire pour les patients, nous avons développé un paradigme innovant d’extinction d’une peur conditionnée chez le rat avec l’objectif de pouvoir modéliser les différences interindividuelles de rechute de symptômes de peur après les thérapies d’exposition chez l’homme [3].

Vous parlez d’une approche One Health dans ce projet, pourriez-vous expliciter en quoi et comment cela se matérialise ici selon vous ?

Cette thèse s’intéresse à l’interface entre l’environnement et les santés, somatique et psychique, de l’homme et de l’animal. En particulier, deux des trois études présentées font intervenir des modèles animaux, mettant ainsi en avant la pertinence du concept One Health dans le domaine de la recherche sur les maladies mentales.

Les troubles du comportement chez l’animal (spontanés ou dans le cadre de modèles de laboratoire) et les pathologies psychiatriques telles qu’elles sont définies chez l’homme regroupent des entités partiellement différentes. Il existe néanmoins des mécanismes biologiques cérébraux communs et des symptômes en partie partagés que ce soit dans le cadre de troubles anxieux, de l’humeur (notamment dépressifs), cognitifs, des interactions sociales ou psychotiques. L’étude comparée des mécanismes biologiques mis en jeu dans les maladies mentales de l’homme et des animaux pourrait permettre une meilleure compréhension de leurs physiopathologies. L’approche One Health pourrait ainsi aboutir à de nouvelles pistes thérapeutiques et à une amélioration de la santé et du bien-être des patients, humains et animaux et de leur entourage.

Quelles suites à vos travaux ? Avez-vous des projets autour des pathologies dites comportementales ou psychiatriques spontanées des animaux domestiques ?

Je viens de m’associer avec Pascaline Boitelle pour ouvrir Vetoadom Alpin, une nouvelle filiale de Vetoadom autour de Chambery. Je continue néanmoins de m’impliquer dans certains travaux du laboratoire du Pr Krebs et de co-encadrer avec grand plaisir des étudiants en thèse vétérinaire !

Je participe par exemple à la thèse d’exercice d’Antonin Forestier avec le Dr Titeux et le Pr Gilbert à l’ENVA. L’objectif est d’identifier des biomarqueurs épigénétiques du développement et de l’évolution de pathologies comportementales spontanées chez le chien et d’évaluer la pertinence de cette approche pour des études translationnelles applicables à l’homme.

Que vous a apporté votre formation à VetAgro Sup dans ce travail ?

Ma formation de vétérinaire, par ses aspects scientifiques, médicaux mais aussi éthiques, m’a permis d’avoir parfois un regard différent sur les approches techniques et scientifiques envisagées. Je suis persuadée que notre formation peut rendre les vétérinaires pertinents dans tous les domaines de la recherche biomédicale (entre autres !). Par ailleurs, il est important de souligner que j’ai toujours été très bien accueillie dans les laboratoires travaillant dans la recherche fondamentale, translationnelle et/ou clinique autour de la psychiatrie humaine.

Je profite de l’occasion pour remercier tous les enseignants, cliniciens et personnels de VetAgro Sup pour leur engagement auprès des étudiants vétérinaires qu’ils forment aux diverses facettes de cet incroyable métier, entre société, environnement, santé animale et humaine.

Si c’était à refaire, que changeriez-vous ? Quels conseils donneriez-vous à de futurs étudiants qui seraient dans votre situation ?  

Je crois que je ne changerais pas grand-chose ! J’ai énormément appris, et surtout j’ai passé de très bonnes années lors de mes études à VetAgro Sup, en stage (auprès de praticiens vétérinaires et en laboratoire), puis en thèse !

Je ne peux qu’encourager tous les étudiants, qu’ils soient curieux, intéressés ou passionnés par la recherche, à réaliser des stages pour découvrir différents domaines d’études, chercheurs et techniques. Je suis persuadée que les vétérinaires peuvent être pertinents dans tous les domaines de la recherche biomédicale et scientifique, qu’elle soit fondamentale ou appliquée, animale ou humaine.
Tout étudiant qui aurait des questions peut évidemment me contacter : je me ferai un plaisir de l’aider si j’en ai la possibilité !

Quelques mots pour conclure ?

Je suis très honorée d’avoir reçu ce prix qui met en avant mes travaux mais aussi plus largement mon sujet de recherche autour de la recherche translationnelle en psychiatrie, rappelant que le concept One Health s’étend à tous les domaines de la santé, dont celui de la santé mentale.

Les pathologies mentales concernent tous les citoyens. Des études récentes ont montré qu’en France, de nombreux praticiens, professionnels, mais aussi étudiants vétérinaires sont également concernés [5]. Ces résultats se rapprochent des études réalisées à l’étranger et auprès des professionnels de santé humaine, notamment les travaux d’Ariel Frajerman [6] par exemple, qui a réalisé son doctorat avec moi.

Les vétérinaires, quels que soit leur mode d’exercice, ont reçu une formation médicale et scientifique et peuvent participer à l’effort des scientifiques pour promouvoir la science, discuter de santé publique, de la place de l’animal et de son bien être dans la société, de l’environnement, et de la déstigmatisation des maladies psychiatriques de l’homme ou de l’animal, ou de tout autre sujet scientifique.

S’informer et participer à la déstigmatisation des maladies psychiatriques est déjà une première étape, accessible à tous, pour lutter contre les souffrances psychiques.

[1] https://ipnp.paris5.inserm.fr/recherche/equipes-et-projets/7-equipe-krebs

[2] Demars F. Interindividual variability in behavioral responses to gene and environment interactions. 2021. http://dx.doi.org/10.13140/RG.2.2.21936.02562

[3] Demars F, et al. Post-trauma behavioral phenotype predicts the degree of vulnerability to fear relapse after extinction in male rats. Current Biology 2022;32:3180-3188.e4.

[4] Demars F, et al. Dysregulation of peripheral expression of the YWHA genes during conversion to psychosis. Scientific Reports 2020;10:1–9.

[5] https://vetos-entraide.com/rapport-souffrance-etudiants-2018/ et
https://vetos-entraide.com/enquete-souffrance-veterinaire/

[6] https://theconversation.com/une-enquete-nationale-revele-letat-de-sante-mentale-preoccupant-des-etudiants-en-medecine-186007